Cirkopolis (de Jeannot Painchaud, Dave St-Pierre / mes. Jeannot Painchaud, Dave St-Pierre / avec le Cirque Eloize)

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Cirkopolis
De Jeannot Painchaud, Dave St-Pierre
Dirigé artistiquement par Jeannot Painchaud, Emmanuel Guillaume (directeur artistique en tournée)
Collaboration artistique avec Johanne Madore (conseillère artistique)
Mis en scène par Jeannot Painchaud, Dave St-Pierre assistés par Emilie Grenon-Emiroglou, Rénald Laurin (conseiller en dramaturgie et en jeu)
Chorégraphies par Dave St-Pierre
Performances acrobatiques conçues par Krzysztof Soroczynski
Avec le Cirque Eloize

Scénographie par Robert Massicotte
Lumières par Nicolas Descôteaux
Vidéos par Robert Massicotte assisté par Alexis Laurence
Musiques par Stéfan Boucher
Costumes par Liz Vandal
Maquillages par Virginie Bachand

Théâtre du Léman, Genève, Suisse
Produit par Cirque Eloize (producteur, tourneur), Opus One (organisateur)
Représentation du dimanche 27 décembre 2015 à 15h00
Placé en première catégorie (rang N, place 12)
Payé 89.00 CHF

37_2_castingUne partie du casting (qui a évolué depuis) en pleine démonstration de jonglerie…
[photo sans crédits, via NYU Skirball]

En ce dimanche après-midi, me voilà prêt à découvrir pour la première fois ce que vaut le numéro 2 du cirque contemporain québécois, derrière le mastodonte qu’est le Cirque du Soleil, à savoir le Cirque Eloize. Celui-ci profite de la lucrative période des fêtes pour poser ses valises deux semaines à Genève où il présente sa dernière création en date, Cirkopolis.

Le titre ne fait pas grand mystère de la source d’inspiration, à savoir le célèbre film Metropolis de Fritz Lang. Après un court pré-spectacle mené par deux artistes au milieu du public, les rideaux s’ouvrent ainsi sur un décor (ou plutôt une projection sur écran géant, puisque le spectacle n’utilise pas de décors physiques, si ce n’est quelques accessoires) de ville grise gigantesque, avec une petite touche steampunk. Tout au long du spectacle, des travellings avant nous permettront de voyager grâce à l’écran dans plusieurs endroits de la ville. Les illustrations, faiblement animées, sont très jolies et donnent une esthétique remarquable au spectacle, bien que tout en sobriété.

Mais je reviens au spectacle ; le numéro introductif, long mélange de chorégraphies et d’éléments acrobatiques, nous dévoile l’univers social de la ville qui nous est présentée, à savoir un régime totalitaire aux habitants anonymisés et exploités, se comportant de façon quasi-militaire. Le personnage central nous est également révélé. Il s’agit d’un fonctionnaire dont la seule occupation est apparement d’apposer un coup de tampon encreur sur des dizaines et des dizaines de feuilles par jour que lui apportent inlassablement ses collègues… Cette entrée en matière, parfaitement chorégraphiée de façon mécanique et magnifiquement éclairée dans un style froid et ciselé, est une brillante manière de plonger le spectateur dans l’univers assez particulier du spectacle.

37_3_decorAu centre, derrière son bureau, le héros de Cirkopolis, qui se laissera peu à peu emporter vers un monde moins grisonnant…
[photo sans crédits, via LEX studio]

Après cela, les numéros acrobatiques s’enchaînent, sans aucun temps mort, chacun ayant droit à un nouveau fonds de scène projeté et à une musique originale. A signaler l’excellent travail de ce côté là, la BO alternant les morceaux à l’ambiance industrielle, osant la modernité, et les airs plus joyeux et entraînants, autant géniaux que désuets, le tout se fondant à merveille dans cet univers citadin de style années 20.

Mais je m’égare, j’étais en train de parler des performances circassiennes… Je me permets de commencer par la plus décevante, alors qu’en découvrant l’équipement acrobatique elle me semblait pourtant prometteuse. Il s’agit d’une sorte de cube, en fait formé de quatre trapèzes conçus de façon à permettre à l’artiste de passer de l’un à l’autre  (rassurez-vous, j’ai conscience en l’écrivant que c’est très peu parlant pour qui n’a pas vu le spectacle). Super original mais malheureusement assez peu spectaculaire et ponctué, lors de cette représentation, de quelques erreurs mal rattrapées. Dommage.

A l’autre opposé, dans la catégorie des performances de très grande classe, se trouve un mélange d’acrobatie et de contorsion, absolument irréprochable et, chose rare dans cette discipline, se faisant sans longueur, dans un mouvement constant, avec des grands-écarts bluffants. Le final, lorsque l’artiste féminine se fait successivement tenir un pied puis le suivant par un de ses comparses masculins, apparaissant au public comme montant un escalier invisible, est incroyable – et récoltera d’ailleurs les applaudissements les plus nourris de l’après-midi de la part du public du Théâtre du Léman.

37_4_escaliersLe Cirque Eloize a eu tout à fait raison de mettre ce numéro sur l’affiche de Cirkopolis : c’est le meilleur du spectacle (même que, c’est vrai, sur cette photo, la performance paraît plutôt banale)
[photo sans crédits, via LEX studio]

Le mât chinois est également un bon moment, tout comme les démonstrations de roue Cyr et de roue allemande, deux disciplines assez semblables qui auraient cela dit pu être un peu mieux réparties au long du spectacle (de mémoire elles se suivent quasiment). A choisir, j’ai préféré la roue allemande, dont la performance, en plus d’être dynamique et variée, comporte quelques moments très esthétiques. Quand à la jonglerie, elle est particulièrement bien mise en scène, de façon originale, mais elle ne m’a cependant pas emballé, cela étant peut être dû au manque de difficulté de l’ensemble.

Reste à mentionner un sympathique duo de trapèze fixe ou encore un joli passage à la corde aérienne. Moins acrobatique mais plus poétique, le numéro du personnage principal est à inscrire dans la liste des très bons moments. Ca paraît difficile à croire dit comme ça, mais un porte-habits et deux cintres dont un auquel est suspendue une robe lui suffisent à livrer un très beau moment de romantisme, tout en subtilité.

37_5_porte-habitsMoment de séduction entre notre héros et les habits de celle qui lui a tapé dans l’oeil…
[photo sans crédits, via Mamatoga]

Parmi tous ces numéros, j’en aurais peut-être souhaité un deuxième autant bon et iconique que celui de la contorsionniste. Presque toutes les performances sont très bonnes, mais ça manque parfois un peu d’originalité ou de folie. Rien de grave cependant, le niveau reste très élevé !

Mais plus encore que les démonstrations physiques, ce que je retiens de Cirkopolis c’est sa mise en scène, dépouillée, utilisant le minimum syndical de décors, d’accessoires et de costumes, mais très travaillée et hyper précise. Sur ce point, le Cirque Eloize se distingue particulièrement de son grand frère le Cirque du Soleil, qui préfère les scènes très “remplies”, avec de nombreuses actions simultanées, où le spectateur apprécie plus l’ensemble que l’individualité des artistes. C’est un axe de travail différent, j’aime beaucoup les deux concepts, mais ce qui est sûr c’est que j’ai trouvé la mise en scène de ce spectacle parfaite de bout en bout.

Parmi les trouvailles de mise en scène, il me faut signaler une belle utilisation de l’écran éclairé par derrière, y révélant des comédiens en dehors de l’espace de jeu, permettant une interaction avec le numéro se passant au premier plan. L’idée des feuilles de papier que passe en revue le principal protagoniste et qui, au fil de la progression dramatique, deviennent des feuilles de couleur, est également excellente.

37_6_mat-chinoisLe mât chinois sur fond d’engrenages (par contre il me semble me souvenir d’un duo homme-femme contrairement à ce qui est visible sur la photo) …
[photo sans crédits, via LEX studio]

La conclusion ? Comme déjà dit, c’est probablement le spectacle de cirque contemporain le plus sobre que j’aie vue – presque pas de décors, des costumes quasi-uniques et une mise en scène dépouillée. Pour créer son univers, Cirkopolis se repose sur des projections et un éclairage de grande classe, à condition d’aimer les ambiances froides et mécaniques. La musique est géniale et variée, la mise en scène précise et ciselée. Les numéros en eux-mêmes sont dans l’ensemble très bons, avec un gros coup de coeur pour l’acrobate contorsionniste et une mention spéciale à la roue allemande. Il manque par contre certainement une grosse performance dynamique, par exemple pour remplacer la fin du spectacle à la bascule. Quand à l’histoire, elle n’est pas très développée mais la progression dramatique est bonne, le final convaincant et l’ensemble tient parfaitement debout. Petit bémol, comme souvent dans le cirque moderne, sur l’intégration de l’humour, souvent trop enfantin, à l’exception de l’excellent numéro poétique autour du porte-habits. Un très bon moment passé en compagnie du Cirque Eloize donc, qui me fait clairement regretter de ne pas avoir vu les précédents spectacles de la troupe québécoise lors de ses passages helvétiques !

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