Anesthésie générale (de Jérémy Ferrari / mes Jérémy Ferrari / avec Jérémy Ferrari)

Anesthésie générale
De Jérémy Ferrari
Mis en scène par Jérémy Ferrari
Collaboration artistique avec Mickaël Dion
Avec Jérémy Ferrari

Théâtre Salle Métropole, Lausanne, Suisse
Produit par Dark Smile Productions (producteur, tourneur), Live Music Production (organisateur)
Représentation du vendredi 2 octobre 2020 à 20 h 00
Placé en ?ème catégorie (rang E, place 52)
Payé 73.00 CHF (plein tarif)

Aucune photo officielle du spectacle n’est malheureusement disponible, j’ai donc fait avec ce que j’ai pu pour illustrer cet article…
[photo de Renaud Corlouër, via le site de Jérémy Ferrari]

Comme tout le monde, j’ai découvert Jérémy Ferrari à la géniale époque de “On n’demande qu’à en rire”. Depuis, j’ai vu deux fois son premier one man show “Hallelujah bordel !”, sur le thème des religions, et deux fois le deuxième parlant des guerres, “Vends 2 pièces à Beyrouth”, qui est pour moi le meilleur spectacle d’humour francophone que je connaisse – et d’assez loin.

Autant dire que j’étais extrêmement impatient d’aller assister à “Anesthésie générale”, qui prend cette fois pour sujet la santé. J’ai été encore plus impatient quand j’ai appris que le spectacle contenait un dézingage en règle de cette hallucinante connerie qu’est l’homéopathie !

Problème, le passage à Lausanne était prévu le 12 mars alors que je rentrais de Nouvelle-Zélande le 14. Heureusement, un virus conciliant est arrivé et a provoqué le report de la date au 27 juin. Ouais, au 27 juin, comme quoi il y avait des gens optimistes à l’époque…

Finalement, la représentation a été repoussée jusqu’à ce 2 octobre et, malgré le fait que c’était sold out depuis longtemps, j’ai réussi par une chance assez incroyable (qui a en fait simplement consisté à ouvrir la billetterie au bon moment) à trouver une place il y a quelques semaines.

L’éclairage du spectacle est vraiment très réussi — bien mieux que cette capture d’écran de la bande-annonce !
[capture d’écran de la bande-annonce du spectacle]

Cette partie n’a rien à voir avec le spectacle et parle des mesures Covid mises en place dans la salle ; continuez votre lecture après la prochaine photo si vous vous en foutez !

C’est comme ça que j’ai pu assister à ce qui a vraisemblablement été un moment historique : le premier spectacle de Suisse à se jouer devant plus de 1’000 personnes depuis le mois de février ! Tout ça avec une autorisation qui est apparemment tombée le jour même à 6 h du mat’ seulement. Les autorités qui dégueulent sur le travail des organisateurs, ça fait toujours plaisir…

Tout ça me donne presque envie de pardonner les cafouillages à l’entrée qui ont conduit le show à démarrer avec 45 minutes de retard même si, soyons honnêtes, ça n’était vraiment pas digne de Live Music Production, qui se targue pourtant sur son site d’être “l’organisateur par excellence de spectacles en Suisse romande”.

La communication autour des mesures de traçage était catastrophique et la solution choisie, signée Ticketcorner (je hais Ticketcorner), est incompréhensible. En gros il faut scanner un QR-code pour remplir un formulaire, que tu dois valider en scannant un autre QR-code, avant qu’on te fasse scanner un troisième QR-code pour vérifier que t’as bien scanné le QR-code précédent, tout ça te permettant d’obtenir… un QR-code qui sera scanné à l’entrée ! C’est l’Inception des QR-codes — dire que ces trucs avaient presque disparu avant le Covid ! Cela dit, c’est la première fois que je vois une page web de Ticketcorner qui ne tente pas de m’arnaquer de 2.30 CHF à chaque clic, c’est déjà un exploit !

Personne ne comprend rien à cette orgie de QR-codes. Une bonne moitié du public n’avait donc rien préparé, d’où la file monstrueuse à l’extérieur de la Salle Métropole ayant conduit au gros retard. Et quand t’arrives enfin au bout, surprise, voilà le distributeur de gel hydroalcoolique… placé juste avant avant la personne qui va scanner ton billet et ton QR-code. C’est bien, mais ça aurait p’t’être été intelligent de réfléchir qu’à ce moment tout le monde tient son billet, son téléphone avec son QR-code et sa carte d’identité et n’a évidemment pas les mains libres pour se les désinfecter !

Quant aux agents de sécurité, ils sont censés scanner ton billet, scanner ton QR-code, vérifier que le nom sur ta carte d’identité corresponde à celui enregistré dans le QR-code, puis finalement contrôler que le numéro de siège sur ton billet soit le même que celui entré manuellement dans le formulaire permettant d’obtenir le QR-code. J’ai un petit (non, un gros) doute qu’il soit possible de garantir la fiabilité de toutes les informations…

A 5 minutes de l’heure de début prévue, il manque encore un peu de monde…
[photo perso]

Bref, si on en venait à Jérémy Ferrari ? Il entre en scène et commence par gentiment se moquer du retard et du public masqué avant d’embrayer en nous parlant évidemment du Covid-19.

Faut dire que son premier spectacle sur les religions précédait une sorte de crise communautaire et une série de débats sur la laïcité, que son deuxième sur les guerres est sorti juste avant les attentats en France (sans parler de son affiche montrant une explosion à Beyrouth), et voilà qu’une épidémie mondiale se déclenche alors qu’il a à peine eu le temps de jouer les premières représentations de son nouveau one man show sur le thème de la santé !

L’humoriste enchaîne sur sa tentative de suicide survenue en pleine tournée de son dernier spectacle. La promo de “Anesthésie générale” avait insisté sur le côté “personnel” et on ne peut pas dire qu’il s’agisse de fausses promesses. Ferrari se livre, on sent qu’il est sincère, c’est merveilleusement écrit et de façon assez incroyable aussi profond et touchant que génialement drôle. Raconter les aventures de sa famille spécialiste des suicides ratés, il fallait oser !

Jérémy vous Ferrari-re avec les pires sujets !
[capture d’écran de la bande-annonce du spectacle]

Vient le moment de régler son compte à l’homéopathie. Ca faisait quelques années que je m’étonnais que personne n’ait fait de sketch là-dessus. Dès que tu te renseignes, l’absurdité de cette merde va tellement loin que ça saute aux yeux que c’est un sujet en or pour humoriste. Pour bouffer de l’homéopathie, soyons clairs, il faut soit être ignorant, soit être imbécile au quatrième degré — soit les deux, c’est pas incompatible !

Et voilà qu’au final c’est Jérémy Ferrari qui a empoigné le thème. C’est une réussite absolue. Extrêmement drôle, totalement vrai, merveilleusement construit, très intelligent, pédagogique, parfaitement interprété, c’est du génie. Après un quart d’heure de vannes, il conclut en rappelant que le montant annuel alloué au remboursement de l’homéopathie en France pourrait servir à engager 2’000 infirmières et cite le passage du code de la santé interdisant le charlatanisme. Et paf. Magistral.

C’est vraiment le gros talent de Ferrari, arriver à baser un sketch hilarant sur des faits documentés (toute la doc est d’ailleurs téléchargeable sur son site) et y inclure une dénonciation en règle, qui à aucun moment ne sonne ni faux, ni moralisatrice, ni démagogue. Il se trouve que ce passage du spectacle a été mis en ligne durant le confinement, je ne peux que vous conseiller de voir ça au plus vite !

Dans la vidéo vous n’avez pas la fin où il s’attaque à “Homéopathes sans frontières” avant de proposer de réduire la directrice de la comm’ de chez Boiron en atomes, à vendre 50 € pièce au profit de l’Afrique. Pourquoi si cher ? Parce que des putes comme ça, on n’en croise pas tous les jours !

Pour moi, ce sketch est le clou du spectacle. Pourtant, il reste des choses à se mettre sous la dent, puisqu’on a eu droit à pas loin de 2h45 de show ! Dans le lot, une explication de l’histoire de la sécurité sociale en (presque) six minutes, une critique en règle des EHPADs, un hommage appuyé à ce grand humaniste qu’était Jacques Servier ou encore le cas d’une patiente dans le coma depuis six ans qui se retrouve soudainement enceinte (“le personnel est probablement un petit peu à cran et le baby-foot n’a pas suffi”).

Non content de maitriser à la perfection son style d’humour principalement raconté à la première personne, Jérémy Ferrari se glisse également dans des personnages, joue un peu avec le public et va jusqu’à s’engager dans de délirants passages absurdes. Vous aurez notamment le plaisir d’observer ses talents de mime lorsqu’un pigeon se transforme en T rex puis en tétraplégique assoiffé de selfies. L’imitation d’un être mi-Gollum Mi-tterrand est tout aussi hilarante.

Ferrari à mi-chemin entre le T rex et le tétraplégique !
[capture d’écran de la bande-annonce du spectacle]

Côté mise en scène, le moins qu’on puisse dire c’est que Ferrari est une boule d’énergie – un bolide dirais-je même en m’autorisant un très mauvais jeu de mots. Plus de 2h30 sans aucun temps mort, parcourant le plateau en long et en large en captivant son public (et en se passant la main dans les cheveux à peu près toutes les 25 secondes, aussi).

Evidemment, “updater” le spectacle après la longue interruption de tournée avec un sketch sur le thème du Covid-19 était quasiment obligatoire. Vu la durée de la soirée, je suppose que Ferrari a fait le choix de ne rien retirer de son one man show pour ce faire, ce qui est bien appréciable ! L’angle retenu est une interprétation croisée des personnages du ministre de la Santé Olivier Véran et de ce triple imbécile de “professeur” Raoult.

C’est le seul moment du spectacle où tout ne fonctionne pas parfaitement, probablement parce que le texte est encore un peu frais. L’humour ne marche pas totalement, la dénonciation est parfois bancale, bref, il y a certainement quelques améliorations possibles sur ce passage.

Jérémy une photo de la salle, parce que quand même, c’est beau un théâtre plein !
[photo sans crédit, via la page Facebook de Live Music Production]

Il me reste à traiter de la conclusion de ce one man show. Ferrari avait le lourd défi de devoir égaler sa fin surpuissante de “Vends 2 pièces à Beyrouth”. Pour se faire, il choisit de nous parler de ses problèmes à lui, plus particulièrement d’alcoolisme et de santé mentale, avant de clore par un monologue allant crescendo dont il a le secret. Brillant, une fois de plus.

Place à la standing ovation puis aux remerciements, un peu longs, mais qu’on sent sincères de la part d’un Jérémy Ferrari qui semble ému, notamment puisque des “collègues” de sa cure de désintoxication, qui s’est déroulée dans la région, sont dans la salle.

J’en profite pour le remercier de maintenir sa tournée, de conserver cette envie d’aller à la rencontre de son public malgré le fait qu’une date sur deux soit annulée, parfois à la dernière minute.

Le triomphe était total !
[photo sans crédit, via la page Facebook de Jérémy Ferrari]

Pour ma part, je vais être honnête, j’ai tendance à préférer “Vends 2 pièces à Beyrouth”, mais quand même, quel one man show incroyable ! Quel talent ! Quelle drôlerie ! Quelle intelligence ! Quelle plume !

Il y a une époque où j’allais voir beaucoup d’humoristes, je me suis gentiment lassé après avoir assisté à des spectacles extrêmement mauvais et en ayant de plus en plus l’impression de pouvoir deviner toutes les vannes 5 secondes en avance. Ca ne m’est arrivé qu’une seule fois (et encore, c’était très rigolo) avec Jérémy Ferrari.

Ce spectacle est brillant et est à voir absolument, en regrettant qu’il y en ait si peu aussi drôles que malins (qui pourtant ont un succès fou, 100’000 billets ont été vendus pour “Anesthésie générale” avant même la première !), aussi bourrés de talent. Vivement le prochain Ferrari, ou vivement la deuxième représentation de celui-ci dans la région !

 

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