La Vénus à la fourrure (de David Ives / mes. Jérémie Lippmann / avec Marie Gillain, Nicolas Briançon)

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La Vénus à la fourrure
De David Ives
Adapté par Anne-Elisabeth Blateau
Mis en scène par Jérémie Lippmann assisté par Aurélie Bouix
Avec Marie Gillain, Nicolas Briançon

Décors par Jacques Gabel assisté par Jeanne Frenkel
Lumières par Joel Hourbeigt
Musique par Charles Souchon, Nicolas Voulzy
Costumes par Colombe Lauriot-Prévost

Théâtre de l’Octogone, Pully, Suisse
Produit par Ki m’aime me suive (producteur, tourneur), Théâtre de l’Octogone (organisateur)
Représentation du mercredi 18 novembre 2015 à 20h30
Placé en 2ème catégorie (rang K, place 27)
Payé 37.00 CHF

34_2_castingLes deux géniaux acteurs à l’affiche : Marie Gillain et Nicolas Briançon
[photo de Basile Dell, via Ki m’aime me suive]

La soirée commençait mal puisque pour la première fois de ma vie je suis arrivé en retard à un spectacle. Heureusement la pièce a elle aussi commencé avec quelques minutes de retard ce qui m’a permis de ne rien louper. Tant mieux, je l’aurais vraiment regretté vu la qualité de la pièce ! A peine le temps de jeter un oeil sur scène (où se trouve un décor très dépouillé, constitué d’une bâche tendue entre deux perches descendues des cintres) que Nicolas Briançon fait irruption sur les planches, pendu à son téléphone, le tout sans que la lumière de la salle ne se soit éteinte.

Sa conversation nous fait comprendre que l’on a face à nous un metteur en scène épuisé par sa journée de casting infructueuse, lui qui espérait trouver une actrice pour jouer Wanda, le personnage féminin de “La Vénus à la fourrure”, dont il tente de monter une adaptation. Désespéré, enchaînant les commentaires franchement misogynes, il se résout à rentrer chez lui lorsqu’arrive depuis le fond du Théâtre de l’Octogone une actrice (interprétée par Marie Gillain) en retard pour les auditions. Le metteur en scène décide de ne pas même pas lui accorder sa chance puisque que celle-ci cumule à première vue tous les défauts qu’il reprochait aux comédiennes “castées” précédemment, c’est à dire qu’elle est vulgaire et idiote – et pas qu’un peu.

Evidemment, l’actrice n’a pas dit son dernier mot et arrivera à convaincre le pauvre metteur en scène de lui laisser faire un essai de quelques petites minutes. Tout en se préparant, “l’idiote” pose des questions sur la pièce, permettant à son metteur de scène de lui résumer le roman dont elle est tirée (en même temps qu’à nous, puisque je ne connaissais pas du tout l’histoire)  et de le situer à l’époque à laquelle a été publié le texte. Il faut signaler que cette partie est très bien écrite, avec des dialogues fluides, réussissant à nous donner un cours de littérature sans que ça se remarque tout en nous faisant beaucoup rire.

34_3_gillainMarie Gillain dans la peau d’une jeune actrice vulgaire et ignorante qui arrive à convaincre le metteur en scène de l’auditionner malgré son retard…
[photo de Fabienne Rappeneau, via Le grand théâtre du monde]

Je m’autorise également à résumer brièvement le roman en question, écrit par Sacher-Masoch (oui, celui qui donnera son nom au sado-masochisme) en 1870 et qui est en fait son auto-biographie. Se renommant Séverin, ce dernier nous explique tout au long du livre pourquoi, lorsqu’il était âgé de 12 ans, sa tante s’est mise à le fouetter, et comment ces situations de domination sont devenues son fantasme et son obsession, au point de demander à la belle Wanda et sa fourrure de devenir son esclave.

Voilà pour le contexte. Quand à la pièce jouée à Pully ce soir, la suite, vous la devinez aisément : l’actrice écervelée est absolument parfaite dans le rôle de Wanda, au point que le metteur en scène (qui lui donne la réplique lors de cette audition en endossant le rôle de Séverin) en perde momentanément ses moyens. Si vous êtes très malin, vous comprenez où cette pièce cherche à mener son public, à savoir dans une mise en abime entre la relation Séverin / Wanda et celle du metteur en scène et de son actrice.

En effet, très vite, la jeune comédienne inculte et ridicule va se révéler bien plus intelligente que prévue, manipulatrice et dominatrice, faisant perdre tout contrôle au metteur en scène, autant bien sur sa pièce que sur lui-même. Le texte est extrêmement bien construit, faisant alterner la pièce dans la pièce (celle du texte original de Sacher-Masoch donc) et les débats entre le metteur en scène et sa comédienne sur l’interprétation du récit avec une précision et une intelligence remarquables.

34_4_interpretationJe ne l’avais pas encore signalé : Marie Gillain est assez peu habillée dans cette pièce…
[photo de Fabienne Rappeneau, via Le grand théâtre du monde]

Pour être honnête, il faut préciser que la brillante idée de la mise en abime ne vient pas du metteur en scène Jérémie Lippmann mais de l’auteur David Ives, qui a monté le tout à Broadway, où la pièce a remporté trois des prestigieux Tony Awards (meilleure pièce, meilleur acteur et meilleure actrice). L’ensemble a été adapté sur scène à Paris en 2014 sous le nom de “La Vénus à la fourrure” mais a également été utilisé par Woody Allen dans le film du même titre l’année d’avant, avec Emmanuelle Seigner et Mathieu Amalric. En parlant de récompenses, la version française de la pièce a reçu deux des non moins prestigieux Molières, celui de la meilleure pièce de théâtre privé et celui de la meilleure actrice dans une pièce de théâtre privé.

Il est vrai que le jeu d’acteurs est absolument incroyable. Ca doit être très difficile de passer un spectacle à changer de personnage à la volée, d’autant plus lorsqu’un des deux rôles est celui d’un comédien d’une pièce de répertoire classique et l’autre celui d’un acteur “en off”, mais Marie Gillain et Nicolas Briançon n’en laissent rien paraître. Dur d’en dire plus sans user d’un enchaînement de superlatifs, je m’arrêterai donc sur un grand “bravo”.

Quand au décor, à l’éclairage et aux costumes, pensés pour évoquer un théâtre “vide”, ils sont certes sobres mais permettent de très beaux effets artistiques, parmi lesquels je citerai un joli moment éclairé par le bas avec des ombres en fond de scène, une belle utilisation de la fumée, les moments où l’un des deux protagonistes se rend en coulisses pour changer la hauteur des perches – et par conséquent celle de la bâche qui y est attachée ainsi que la taille de l’espace de jeu – ou encore la scène de fin, magnifique, avec un superbe choix de musique, mais dont je vais bien sûr éviter de parler ici pour ne pas “spoiler”. Seuls points discutables, les incessants éclairs et bruitages de tonnerre plutôt inutiles, et les animaux empaillés suspendus en fond de scène dont je me demande vraiment quelle peut bien être la signification !?

34_5_dominationL’actrice ridicule des débuts se transforme en redoutable dominatrice…
[photo de Fabienne Rappeneau, via Comédiennes]

En conclusion, voilà une pièce au thème étonnant au premier abord, et qui ne déçoit pas en surprenant également ses spectateurs par la géniale mise en abime exploitée tout au long de la représentation ! Par moment j’écoutais avec attention les moments de théâtre classique inspirés par le texte original de Sacher-Masoch, par moment je réfléchissais aux différentes façons de l’interpréter, par moment je riais du personnage d’actrice inculte merveilleusement interprété par Marie Gillain, par moment je pensais à Birdman vu l’un des thèmes de la pièce (le personnage et son acteur qui ne font qu’un), par moment j’appréciais le jeu de grande classe développé par les deux comédiens, et tout au long de la pièce j’ai su que la réputation et les récompenses reçues par cette pièce n’était pas volées, loin de là ! Heureusement que je ne suis pas arrivé avec cinq minutes de retard de plus !

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