Le cercle des illusionnistes (de Alexis Michalik / mes. Alexis Michalik / avec Jeanne Arènes, Maud Baecker, …)

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Le cercle des illusionnistes
De Alexis Michalik
Mis en scène par Alexis Michalik assisté par Anaïs Laforêt
Performances magiques conçues par Romain Lalire
Avec Jeanne Arènes, Maud Baecker, Michel Derville, Arnaud Dupont, Vincent Joncquez, Mathieu Métral

Scénographie par Olivier Roset assisté par Juliette Azémar
Lumières par Pascal Sautelet
Vidéos par Olivier Roset assisté par Juliette Azémar
Musiques par Romain Trouillet
Costumes par Marion Rebmann assistée par Clotilde Jaoul

Théâtre de Beausobre, Morges, Suisse
Produit par La Pépinière (producteur), Théâtre des Béliers Parisiens (producteur), Mises en Capsules (producteur, tourneur), Théâtre de Beausobre (organisateur)
Représentation du mercredi 1 avril 2015 à 20h00
Placé en première catégorie (rang C, place 5)
Payé 43.20 CHF (abonnement 6 spectacles = -10%)

18_2_castingLe casting au grand complet : Maud Baecker, Mathieu Métral, Michel Derville, Arnaud Dupont, Vincent Joncquez et Jeanne Arènes
[photo de Mirco Magliocca, via le dossier de presse]

Le cercle des illusionnistes est une pièce qui m’intriguait dès la découverte de la programmation 14/15 du Théâtre de Beausobre… Cinq nominations aux Molière pour trois victoires (meilleur auteur, meilleur metteur en scène et révélation féminine pour Jeanne Arènes), des excellentes critiques, une réputation de pièce moderne et passionnante, bref, il y avait tellement de bonnes indications que pour une fois je n’ai pas fait le radin, j’ai pris une pièce en première catégorie ; troisième rang, rien que ça !

Et me voilà donc à Morges devant une scène ayant pour seul décor une paroi à l’arrière-scène. Visible dans les coulisses, pleins de petits éléments de décor sur roulettes. De quoi rappeler l’excellent Train fantôme d’Eric Métayer découvert dans la même salle et sa mise en scène moderne et audacieuse avec des acteurs interprétant de nombreux rôles et des décors changeant à vitesse grand V. C’est exactement le principe du Cercle des illusionnistes sauf que, contrairement au génial n’importe quoi absurde de Train fantôme, la pièce de Michalik est plus sérieuse et poétique qu’humoristique.

Tout commence par l’entrée sur scène de Michel Derville, qui a cette voix et ce charisme si particulier que sont ceux d’un excellent narrateur. Il nous introduit l’histoire à grand renfort de belles phrases (le sujet et le ton m’ont immédiatement fait penser à l’intro d’un de mes films préférés, The Prestige de Nolan) et de disparitions de foulards. Nous voilà ensuite plongé dans une histoire se déroulant en 1984… Décembre attend Avril dans un café. Décembre, Avril ? Les noms d’un jeune homme et d’une jeune fille à qui ce dernier a volé son sac à mains. Et comme il a trouvé joli le visage de ladite Avril sur une photo à l’intérieur du sac, il décide de le lui rendre en faisant croire qu’il l’a trouvé dans le métro, abandonné. Avril gobe l’histoire, les deux commencent à sympathiser. Décembre arrive bien vite sur le sujet de sa passion pour Jean-Eugène Robert-Houdin, horloger-mécanicien-magicien du 19ème siècle. Et nous voilà en train de découvrir en parallèle de cette première histoire la vie de Robert-Houdin…

18_3_houdinJean-Eugène Robert-Houdin (à ne surtout pas confondre avec Houdini qui lui empruntera son nom !) dans un magasin d’antiquités…
[photo de Mirco Magliocca, via le dossier de presse]

Comme si ça ne suffisait pas, nous suivons aussi en parallèle les traces d’un certain Georges, garçon d’une dizaine d’année vivant à une période entre celle de Robert-Houdin et du couple Avril / Décembre. Entre ces trois histoires, les changements de scène (acteurs enfilant un autre costume, à vue ou derrière la paroi, et décors sortant des coulisses) sont extrêmement rapides et fluides. Cela dit, je vous l’avoue, au début j’ai parfois eu un peu de mal à savoir à quel endroit et période se situait la scène jouée devant moi…

Pourtant, le metteur en scène avait pensé à tout en projetant sur un rectangle noir au-dessus de la scène des “sur-titres” donnant, après chaque changement, le lieu et l’année à laquelle se passe l’action en cours. Mais ça, je ne l’ai remarqué qu’après la moitié du spectacle… Si le dispositif marchait certainement très bien dans le petit théâtre où la pièce a été créée, c’est plus compliqué en tournée dans des salles bien plus grandes et surtout plus hautes. Assis au troisième rang, ces sur-titres placés au-dessus du cadre de scène étaient pour moi invisibles sans lever la tête et c’est donc totalement par hasard que je les ai découverts après un bon bout de temps, un problème d’intégration technique plutôt gênant… Pour une fois, j’aurais du faire le radin et choisir une place dans le fond du théâtre !

Mais le fait que j’aie été par moment “perdu” durant les premières quarante-cinq minutes n’était pas si grave. Ce qui nous est présenté est d’une telle qualité, autant dans le jeu que dans la mise en scène, qu’il est impossible de lâcher le fil des histoires se déroulant sous nos yeux. Je pense d’ailleurs que la démarche de perdre le public est quelque peu volontaire.

18_4_meliesLe petit Georges et sa mère
[photo de Alejandro Guerrero, via le dossier de presse]

Après les premières quarante-cinq minutes, le puzzle se construit et le public (ou du moins ce fut mon cas) comprend clairement quelles sont les trois histoires racontées et ce qu’est leur point commun, à savoir un théâtre parisien. Un théâtre dans lequel Jean-Eugène Robert-Houdin a révolutionné la magie avant de le vendre à Georges, qui se trouve en fait être le célèbre Georges Méliès (je ne sais pas si c’est moi qui suit particulièrement lent ou si c’est voulu, mais il m’a fallu un sacré moment avant de comprendre que c’est de lui qu’il s’agissait). Quand à nos contemporains Avril et Décembre, ils vont redécouvrir le théâtre en question, abandonné depuis bien longtemps.

Au milieu de ces trois grandes histoires, Alexis Michalik se paie le luxe de nous en raconter des plus petites. Nous nous intéressons ainsi aux débuts du cinéma, invention décrite comme n’ayant “aucun avenir commercial”, avec, outre Méliès, les frères Lumière et Charles Pathé sur scène. Nous plongeons aussi en plein coeur de l’anecdote du turc mécanique. Je l’avais déjà brièvement entendue, mais j’ignorais la véritable histoire (quoique pas si véritable que ça selon Wikipedia !), absolument géniale à découvrir…

18_5_turcmecaniqueLe très beau moment où nous est racontée l’histoire et le fonctionnement du turc mécanique…
[photo de Alejandro Guerrero, via le dossier de presse]

Vu son nom, la pièce fait bien évidemment de la place sur scène pour quelques tours de magie, certes classiques et déjà vu cent fois, mais toujours bien intégrés au spectacle. A signaler un bel usage de la vidéo au service d’un tour de lévitation…

La vidéo est d’ailleurs bien utilisée, sans excès, par touches discrètes. Elle permet d’embellir le fond de scène et de plonger le public dans un décor, agrandissant ainsi l’univers mis en place par les deux ou trois éléments sur roulettes. Lorsqu’on nous parle de cinéma, elle sert aussi à projeter les documents d’époque, donnant un cachet authentique à la pièce. Ce qui me fait penser à ce très beau moment de mise en scène où, devant l’écran, un acteur de la pièce reproduit avec une incroyable synchronisation l’extrait qui nous est projeté (“Escamotage d’une dame au théâtre Robert-Houdin”, un film signé Méliès).

En parlant d’incroyable synchronisation, ça n’est pas le seul moment où un acteur de la pièce brille par son jeu. C’est bien simple, ils sont tous absolument parfaits ! Il fallait bien cela pour que l’audace de la mise en scène d’Alexis Michalik avec ses multiples personnages tienne debout…

18_6_acteursDeux brillants acteurs dans deux des rôles mémorables : l’assistant marseillais de Méliès (Vincent Joncquez) et sa sévère comptable (Jeanne Arènes)
[photo de Alejandro Guerrero]

Je vous ai déjà dit tout le bien que je pensais de Michel Derville dans la peau du narrateur, il est tout autant bon dans ses autres rôles (souvent ceux de personnages orientant un des “héros” de la pièce). Avril (Maud Baecker) et Décembre (Mathieu Métral) sont d’une crédibilité sans failles en jeunes amoureux alors que Vincent Joncquez fait rire tout le monde en tant que Marius, assistant de Méliès à l’accent prononcé, tout en arrivant à tenir d’autres rôles bien moins excentriques. Méliès justement , à savoir Arnaud Dupont, a une incroyable faculté, celle de tenir son personnage autant bien lorsqu’il a 10 ans que lorsqu’il est adulte !

Reste Jeanne Arènes, lauréate du Molière de la révélation féminine, plus que mérité vu la facilité déconcertante avec laquelle elle enchaîne les personnages. Comptable renfrognée, hystérique assistante italienne de magicien, mère bourgeoise, copine d’Avril un peu trop cultivée, rien ne lui fait peur et tout sonne parfaitement juste, une performance incroyable !

Il ne me reste plus qu’à conclure en disant que cette pièce très originale, de par le thème comme de par la forme, est une réussite, due autant à son metteur en scène qu’à ses acteurs et à ses techniciens. C’est osé, c’est moderne, c’est surprenant (jusqu’au final de la pièce, et même jusqu’à après les saluts), c’est documenté, c’est éducatif, c’est distrayant, c’est la petite histoire dans la grande, c’est réussi et j’irai même jusqu’à oser dire que c’est… magique. Une pièce que j’adorerais revoir en connaissant déjà l’histoire, pour encore mieux apprécier le talent des acteurs et ce cercle en mouvement continu autour duquel progresse l’histoire…

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