Mangez-le si vous voulez (de Jean Teulé / mes. Jean-Christophe Dollé, Clotilde Morgiève / avec Jean-Christophe Dollé, Clotilde Morgiève, …)

9_1_affiche

Mangez-le si vous voulez
De Jean Teulé
Adapté par Jean-Christophe Dollé
Mis en scène par Jean-Christophe Dollé, Clotilde Morgiève
Chorégraphies par Magali B.
Avec Jean-Christophe Dollé, Clotilde Morgiève, Jean-Baptiste Artigas, Yann Lambotte

Scénographie par Adeline Caron, Nicolas Brisset
Lumières par Caroline Gicquel
Création sonore par Fabien Aumeunier

Théâtre Le Reflet – Théâtre de Vevey, Vevey, Suisse
Produit par Fouic Théâtre (producteur), Atelier Théâtre actuel (producteur, tourneur), Ki m’aime me suive (producteur), Théâtre Tristan Bernard (producteur), Le Reflet – Théâtre de Vevey (organisateur)
Représentation du mercredi 8 octobre 2014 à 20h00
Placé en deuxième catégorie (rang 17, place 24)
Payé 14.00 CHF (tarif étudiant)

9_2_castingClotilde Morgiève, Jean-Christophe Dollé et les deux musiciens du casting original (deux autres ont pris leur place pour la tournée)
[photo de Gaël Rebel, via le site du spectacle]

Autant vous le dire d’entrée de jeu, j’ai hésité un moment avant de prendre ma place pour “Mangez-le si vous voulez”. Les critiques étaient toutes excellentes et le thème me plaisait, mais la bande annonce donne l’impression que c’est une pièce très spéciale… Finalement j’ai pris mon billet grâce au Théâtre de Vevey (ou plutôt au Reflet, son nouveau nom depuis cette saison) et à sa politique tarifaire absolument géniale pour les étudiants : 14.00 CHF la place de théâtre en deuxième catégorie (sur quatre), c’est à dire moins cher qu’une place de cinéma, c’est assez fou ! Mieux encore, la salle n’étant qu’à moitié pleine, la directrice a autorisé les spectateurs “radins” dont je faisais partie à se déplacer en première catégorie, ce qui fait toujours plaisir !

A la fin de la pièce, je me suis dit que j’avais eu totalement tort de m’inquiéter d’assister à du théâtre un peu trop conceptuel. En effet, c’était génial et la mise en scène est une des meilleure que j’aie vu ! Avant de vous en parler, je pense qu’il serait bien que je vous explique l’histoire en quelques mots. Nous sommes donc en 1870, en pleine guerre franco-allemande, dans un petit village français. Alain de Monéys n’est pas au front puisqu’il a été jugé inapte. Et même si sa santé avait été meilleure, il aurait eu les moyens financiers d’éviter son recrutement forcé… Qu’à cela ne tienne, il est patriote et insiste pour pouvoir prendre les armes. L’armée finit par l’accepter et, à quelques jours de son départ, Alain s’en va à la foire annuelle de Hautefaye, le village voisin, en pensant simplement saluer ses amis avant le jour J. Mais il ne partira jamais à la guerre puisque, sur un malentendu et au vu de la tension ambiante (pays engagé dans une guerre mal partie, famine, etc.), tout le monde se liguera contre lui, le frappera, le torturera, … le mangera.

Il me faut également préciser que la pièce est une adaptation d’un roman de Jean Teulé.

Première particularité, un seul acteur, Jen-Christophe Dollé (également metteur en scène), incarne l’ensemble des personnages, à savoir Alain, ses amis et tous les habitants du village.

9_3_alainJean-Christophe Dollé, l’homme à la dizaine de rôles
[photo de Christine Ledroit-Perrin, via le site du spectacle]

Je vois d’ici ce que vous pensez : un seul acteur pour quelques dizaines de rôles, ça doit être totalement incompréhensible. Pas d’inquiétudes, l’acteur est excellent, la mise en scène intelligente et la clarté de mise. Que ça soit en changeant l’orientation de son chapeau ou en tenant une chaise d’une façon ou d’une autre, Jean-Christophe Dollé arrive à nous faire “voir” sans soucis sa galerie de rôles. Il a également une grande maitrise de sa voix et de ses mimiques, poussant certains personnages à la caricature pour qu’aucun spectateur ne soit perdu. De plus, ça ajoute une certaine dimension comique (pour les connaisseurs, il m’a par moment fait penser à Tsamere dans sa parodie de vaudeville), ce qui n’est pas pour me déplaire.

Là, je vois que vous êtes en train de vous demander qui est cette femme sur la photo un peu plus haut et, surtout, qu’est-ce que fout donc une cuisine au milieu de la scène !

La femme en question n’incarne aucune rôle précis. C’est le personnage anonyme qui assiste, indifférent, à la catastrophe en cours et qui se laisse peu à peu prendre au jeu – en gros, c’est nous. La cuisinière finira en véritable monstre capable de cuire un homme. L’actrice Clotilde Morgiève est absolument exceptionnelle dans ce rôle, ses regards cruels sont véritablement malsains, c’est assez génial !

9_4_clotildeCa rend moins bien en photo qu’en vrai, preuve de la subtilité de ces regards absolument horribles !
[photo de Gaël Rebel, via le site du spectacle]

L’idée du personnage extérieur est bonne, mais il y a encore mieux : la cuisine est utilisée pour renforcer le côté dramatique de l’action tout au long de la pièce. Des épluchures de carottes giclent partout et les couteaux s’aiguisent comme pour annoncer le drame, des pop-corns éclatent en même temps qu’Alain de Monéys reçoit les premiers coups de ses bourreaux, l’odeur arrive aux narines du public avec un petit nuage du fumée (puisque oui, le personnage cuisine pour de vrai) comme pour renforcer la tension, bref, c’est génialement fait !

Certes, tout cela peut sembler spécial. En général je déteste les rôles à l’absurdité exagérée, ce qui est tout à fait le registre dans lequel joue Clotilde Morgiève, mais là c’est tellement bien pensé que ça fonctionne de A à Z !

Revenons à la cuisine, ou plutôt au décor. Il a beau être minimaliste, il est esthétique et remplit mille fonctions en se démontant de partout et en se déplaçant d’un bout à l’autre de la scène. Comme vous le voyez sur la photo précédente, il est parfois utilisé pour “cadrer” un personnage. Jean-Christophe Dollé y joue dans toutes les positions, que ça soit dans le frigo (symbolisant la porte de la mirie), couché avec la tête sortant par la poubelle en train de se faire torturer ou même, pour symboliser la fin de la vie d’Alain de Monéys… dans le four !

9_5_cuissonAlain de Monéys en pleine cuisson !
[photo de Christine Ledroit-Perrin, via le site du spectacle]

Ce visage qui tourne dans le four est un des exemples de “trucs” de mise en scène qui m’ont beaucoup plu. Je peux également citer ce moment d’une absurdité totale où notre héros se fait écarteler tout en étant suspendu, sur scène, à un panneau lumineux “je t’aime” ! Cette pièce est bourrée de bonnes idées comme celle-là, c’est véritablement brillant.

Tout est utilisé au maximum de son potentiel, y compris les musiciens, qui apportent parfois une précision historique dans un rôle de voix off mais viennent également quelques fois s’immiscer dans l’action, typiquement pour symboliser une foule, ce qui n’est pas toujours facile en étant que deux ! Ce qui m’amène à un autre moment brillant, cette scène où le public est accusé de ne pas avoir réagi face à ce qui se passe. D’un seul geste, les quatre acteurs tournent lentement la tête en direction du public, avec un regard fixe…

Ca m’amuse d’autant plus que j’ai moi-même fait du théâtre et joué une scène comportant ce même effet. Notre metteur en scène nous expliquait la réaction que devait avoir le public (léger sentiment de malaise avec un petit rire gêné) et c’est exactement de cette façon que nous avons réagi devant cette scène de “Mangez-le si vous voulez”.

9_6_tortureDernier exemple d’un bel effet de mise en scène, cette esthétique illustration de la torture d’Alain de Monéys grâce à l’aide des deux musiciens
[photo de Christine Ledroit-Perrin, via le site du spectacle]

Je ne vous ai pas encore parlé d’Anna, personnage interprété (quasiment) sans paroles par Clotidle Morgiève, mais ma critique commence à s’allonger (au point de comparer la pièce à mes petites expériences d’acteur, c’est dire où j’en arrive !). Je ferai donc très court ; chaque scène où elle apparait est excellente, elle permet une fois de plus de très beaux “effets” et si, comme moi, vous n’avez pas lu le livre duquel est adapté la pièce, vous vous demanderez jusqu’au dernier moment à quoi sert ce rôle, ce qui rendra la fin de la pièce encore plus surprenante.

Un dernier mot encore sur la technique. Les éclairages sont soignés, avec un très beau travail sur les différents tons de couleur. Côté son, au début j’ai été un peu déçu par le côté “electro-rock” annoncé que je ne trouvais pas assez assumé, le son de la guitare électrique étant très faible, au point de parfois plus entendre les doigts du musicien sur les cordes que le son sortant des enceintes… Heureusement, ça s’est amélioré par la suite. En parlant de son, il faut parler du nombre impressionnant de bruitages et d’effets utilisés, apparemment gérés directement par les acteurs, sur scène, ce qui permet un excellent rendu.

Cette fois, je crois que tout est dit, il ne me reste plus qu’à conclure, si c’est bien utile puisque, vous l’aurez compris, j’ai adoré cette pièce, ses acteurs, son texte, son décor et, plus que tout, sa mise en scène ! Alors courrez-y (la pièce est en tournée au moins jusqu’au printemps, les dates sont par là).

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