L’exoconférence (de Alexandre Astier / mes. Jean-Christophe Hembert / avec Alexandre Astier, …)

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L’exoconférence
De Alexandre Astier
Collaboration artistique avec Etienne Klein (conseiller scientifique), Claude Catala (conseiller scientifique), Roland Lehoucq (conseiller scientifique), Xavier Passot (conseiller scientifique), Marie-Christine Angonin (conseillère scientifique)
Mis en scène par Jean-Christophe Hembert
Avec Alexandre Astier, Steeve Petit, Hugues Lemaire, Grégory Lambert, Pauline Moingeon-Vallès (voix-off), Victor Chambon (séquences vidéos), Mehdi Rahim-Silvioli (séquences vidéos)

Décors par Jean-Christophe Hembert, Seymour Laval
Lumières par Jean-Christophe Hembert, Seymour Laval
Vidéos par Gaël Béron, Stéphane Lallet, Pierre Magnol
Musiques par Alexandre Astier
Création sonore par François Vatin
Costumes par Anne-Gaëlle Daval

Régie générale par Thierry “Karacas” Cabecas
Régie plateau par Yannick Bourdelle
Régie lumière par Seymour Laval
Régie vidéo par César Andréi
Régie son par François Vatin

Théâtre du Léman, Genève, Suisse
Produit par Regular (producteur), Rain Dog Productions (producteur, tourneur), Opus One (organisateur)
Représentation du vendredi 16 janvier 2015 à 20h30
Placé en troisième catégorie (rang X, place 15)
Payé 49.00 CHF

10_2_astierLe génie Alexandre Astier dans ses oeuvres
[photo de Loll Willems, via Rain Dog Productions]

Ah, Alexandre Astier… Il y a des gens comme ça qui sont énervants parce-qu’ils excellent dans plus ou moins tout ce qu’ils touchent et il en fait clairement partie. Pour tout vous dire, à l’époque où les profils Facebook ressemblaient encore à quelque-chose, je l’avais mis entre Steve Jobs et Adam Savage dans la catégorie “personnes qui vous inspirent”.

Kaamelott, bien sûr (même que ça doit un peu l’énerver à la longue que, dans chaque article qui lui est consacré, le journaliste commence par parler de Kaamelott avant de parler d’Alexandre Astier), mais aussi des films, dont le dernier excellent Astérix, pour lequel il portait la casquette de réalisateur. Et le théâtre. Ca se sait moins que pour ses autres travaux, mais je vous le dis ; quand l’interprète du Roi Arthur monte sur les planches dans un seul en scène, c’est pour un résultat exceptionnel.

En septembre 2013, je l’ai vu dans “Que ma joie demeure !”, spectacle où il incarne Johann Sebastian Bach et dont il est l’auteur – quand Alexandre Astier a un projet, il fait tout lui même, ou presque (la mise en scène est de Jean-Christophe Hembert, plus connu sous les traits de Karadoc pour ceux qui ne jurent que par Kaamelott), et c’est une des raisons pour lesquels je l’admire autant. C’était drôle, c’était du vrai théâtre avec une histoire derrière, c’était merveilleusement bien joué, il y avait une mise en scène moderne et intelligente comme très rarement dans les spectacles d’humour, bref, c’est devenu un de mes gros coups de coeur en matière de spectacle humoristique.

Mais il y a mieux : l’Exoconférence.

Quand j’ai entendu parler du nouveau projet signé Astier accompagné des mots “théâtre”, “science” et “espace”, je suis vite devenu très impatient. Si j’avais trouvé parfaite en tous points de vue une pièce sur Bach qui, soyons honnêtes, n’est pas franchement mon sujet de prédilection (j’avoue, j’ai Bach-lé mon éducation musicale rayon musique classique), une conférence ayant pour but de “régler la question de la vie extraterrestre”, qu’est-ce que ça allait être !

10_3_astierAlexandre Astier passe de la peau de Bach à celle d’un conférencier dernière génération
[photo de Loll Willems, via Rain Dog Productions]

La représentation à Genève tombe entre mes deux semaines d’examens, ce qui n’est pas super pratique, c’est vrai. Plus surprenant encore, mon examen de physique avait lieu le matin même. En gros, sur cette journée spéciale physique, j’ai passé quatre heures à suer sur ma copie le matin et deux heures à rire sur la relativité et la vitesse de la lumière le soir – dit comme ça, ça fait un peu geek.

Mon introduction commence à durer trois plombes, celle qui permet à Alexandre Astier de débuter son spectacle est bien plus classe : un écran géant nous montre les fameuses images de synthèse représentant l’espace que tout le monde a déjà vues dans une bonne dizaine de documentaires au moins. Commentaires de notre conférencier de la soirée en voix off (“et paf, une galaxie”, “boum, le big bang”), puis celui-ci entre en scène sous un tonnerre d’applaudissement et commence très fort (je retranscris la phrase de mémoire) : “ces images sont complètement fausses, mais il faut qu’elles soient spectaculaires pour pouvoir les passer sur une chaîne télé juste après une émission avec un mec qui part survivre dans la jungle en buvant sa pisse”. J’A-D-O-R-E !

Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous révéler tout le spectacle, ce simple extrait servait à vous faire comprendre le style de la prose astienne (oui, Alexandre a bien le droit à son propre adjectif !) du spectacle : mêler faits scientifiques, ironie mordante et sens de l’absurde délirant.

Et ce style sera celui utilisé tout au long de la conférence. Je vous vois en train de vous demander si c’est une vraie conférence, avec des slides qui défilent et des petites blagues par-ci par-là, comme dans l’excellent sketch d’Alexandre (l’article avançant, je l’appelle par son prénom maintenant…) sur la physique quantique, qu’il a certainement écrit en ayant ce spectacle en tête.

Il y a effectivement un écran géant, mais pas de Power Point, ici c’est un ordinateur parlant “Siri style” qui, évidemment (petite facilité scénaristique ?), ne marche qu’à moitié, prétexte à quelques amusants énervements de notre maître de conférence. Les contenus projetés (illustrations, animations, vidéos) sont hyper travaillés, bourrés de détails que j’adorerais re-découvrir dans une deuxième représentation.

10_4_conferenceL’interface du révolutionnaire système d’exploitation gérant la conférence, permettant à Alexandre Astier de briller dans sa spécialité : ses moments de colère
[photo de Loll Willems, via Rain Dog Productions]

Et le contenu projeté, c’est quoi, me demanderez-vous ? Comme dit il y a quelques lignes, le but de notre conférencier est de “régler la question de la vie extraterrestre” et, pour se faire, il va prendre divers exemples de soi-disant observations d’OVNIs ainsi que diverses notions théoriques et prouver par l’absurde qu’une grande partie de ce qu’affirment les “pro hommes verts” paraît spécialement improbable voir complètement idiot.

Cela dit, nous arrivons au plus gros défaut du spectacle, à savoir les transitions ; la conférence passe d’un sujet à l’autre parfois assez abruptement, ça manque un peu de liant ou de fil rouge, c’est un peu dommage. Il s’agit peut-être un parti pris pour faire penser à une vraie conférence désordonnée, mais je continue de penser que c’est un peu dommage.

Ca n’est pas un véritable fil rouge, mais il y a quand même un élément qui revient sans arrêt : la fameuse plaque de Pioneer. Ces dessins gravés sur une sonde dans l’espoir qu’ils soient un jour observés par des extra-terrestres font sourire dès qu’on s’y intéresse un peu, c’est vrai. Mais Alexandre Astier arrive à extraire pendant de longues et délicieuses minutes toute l’absurdité de la situation et le non-sens total de ce dessin. Mieux, il utilise le comique par répétition pour s’en moquer encore et encore, sans lassitude du public. Vous ne verrez plus jamais la plaque de Pioneer sans être pris d’un fou-rire, c’est certain !

J’oubliais de vous parler du décor : d’un côté de l’écran (d’une luminosité et d’une qualité exceptionnelles) se trouve un escalier se déplaçant tout seul, permettant au conférencier de s’approcher de l’écran et évitant la coupure comédien / écran, souvent présente dans ce genre de mise en scène.

10_5_pioneerAlexandre Astier se moque une fois de plus de la plaque de Pioneer, debout sur son escalier 2.0
[photo de Loll Willems, via Rain Dog Productions]

Quand au côté gauche de l’écran, il est occupé par une porte qui révèle au fil du spectacle différents décors. Des décors ? Et oui, pour accompagner certaines explications, Alexandre Astier passe de la peau du conférencier à celle d’un personnage : nous avons ainsi droit à un religieux menaçant Copernic des pires tortures, à Fermi discutant de son paradoxe (certainement la scènette la moins réussie, un peu longuette, pas très drôle ni très claire, d’ailleurs j’ai toujours pas compris pourquoi Fermi y porte un sombrero ?), à Ptolémée observant les étoiles ou encore à une discussion entre Russes et Américains en pleine guerre froide (ce qui me permet de revenir brièvement au contenu affiché sur l’écran : la carte du monde vue par les Américains est un des grands moments du spectacle !).

Un des moments les plus jouissifs interprétés par Alexandre Astier est celui dans lequel il joue un explorateur extraterrestre tentant de convaincre ses supérieurs de l’intérêt de la mission qu’il prépare. Ca résume bien le spectacle et cette faculté géniale de montrer comme l’homme est capable de croire dur comme fer à des situations pourtant bien ridicules.

En parlant de croyances ridicules, Astier est également très fort dans les deux ou trois moments où il se moque de la religion. “Dieu a mis beaucoup de vaches en Normandie parce qu’on y cuisine tout au beurre”, c’est gentil, drôle et en même temps merveilleusement révélateur de l’idiotie des croyances religieuses. Même chose quand il mentionne les théoriciens du complot, bien que j’aurais aimé y voir un peu plus de subtilité.

10_6_extraterrestreL’extraterrestre Astier tentant de convaincre ses supérieurs de l’utilité d’enlever un homme pour lui tâter l’entre-jambes – à mourir de rire !
[photo de Loll Willems, via Rain Dog Productions]

Il me reste quelques points à mentionner avant de terminer cette critique, probablement la plus longue du site ! Je commence par le côte scientifique : c’est très travaillé (impossible d’en douter en lisant le nom des conseillers scientifiques ayant participé au spectacle), très bien expliqué tout en restant très accessible, bravo.

Côté éclairage, joli travail avec, comme dans quasiment tous les domaines, un renversement de style total entre “Que ma joie demeure !” et “L’exoconférence”.

Et finalement, le final… Je n’ai pas envie de trop en dire, tellement la surprise est totale et tellement c’est efficace ! En gros, Alexandre Astier arrive à mêler des citations de Pascal très à-propos, un concert de rock, une incitation à observer le ciel régulièrement, de l’humour (évidemment) et sa réponse à la question sur la vie extraterrestre. C’est un final totalement inattendu pour un spectacle humoristique, très osé et brillant !

Ca permettra à Alexandre Astier de profiter de deux standing ovations d’un public conquis par cette pièce qui, selon moi, est beaucoup plus drôle que “Que ma joie demeure !” (avec un panel d’humour plus large) tout en y intégrant tout autant les marques de fabrique du comédien et auteur que sont le grand travail de recherche avant l’écriture et l’habilité à mélanger humour et intelligence. Ce qui me permet de placer cette citation d’Astier que j’adore :

“Ne confondons pas essayer de voir quelque chose de brillant et se prendre la tête. On ne peut pas ranger tout ceux qui réfléchissent dans le camp de ceux qui se prennent la tête, c’est quand même un amalgame très dangereux.”

Pour ma part, je terminerai par une autre petite phrase, celle que j’ai postée sur Facebook en sortant du théâtre : Alexandre Astier est dix fois meilleur sur scène que dans Kaamelott et, vu le niveau de Kaamelott, c’est pas peu dire !

Foncez voir L’exoconférence dans une des salles visitées par la deuxième partie de sa tournée !

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