Je parle à un homme qui ne tient pas en place (de Jacques Gamblin, Thomas Coville / mes Jacques Gamblin / avec Jacques Gamblin)

Je parle à un homme qui ne tient pas en place
De Jacques Gamblin, Thomas Coville
Mis en scène par Jacques Gamblin, Domitille Bioret
Collaboration artistique avec Bastien Lefèvre, Françoise Lebeau
Avec Jacques Gamblin

Scénographie par Pierre Nouvel
Lumières par Laurent Béal
Vidéos par Pierre Nouvel
Création sonore par Lucas Lelièvre
Costumes par Marie Jagou

Théâtre de Beausobre, Morges, Suisse
Produit par Production du dehors (producteur, tourneur), Espace Malraux – Scène nationale de Chambéry et de la Savoie (co-producteur), La Coursive – Scène nationale La Rochelle (co-producteur), Le Théâtre – Scène nationale Saint-Nazaire (co-producteur), Centre National de Création et de Diffusion Culturelles de Châteauvallon (co-producteur), Bonlieu – Scène nationale d’Annecy (co-producteur), MCA Amiens (co-producteur), La Filature – Scène nationale Mulhouse (co-producteur), Théâtre de Villefranche (co-producteur), Théâtre de Coutances (co-producteur), Anthéa – Antipolis Théâtre d’Antibes (co-producteur), Archipel de Granville (co-producteur), Le Quai – Centre dramatique national Angers Pays de la Loire (co-producteur), Théâtre de Beausobre (organisateur)
Représentation du jeudi 31 janvier 2019 à 20h00
Placé en (catégorie unique, rang N, place 24)
Payé 25.00 CHF (tarif étudiant)

Direction Beausobre pour découvrir Jacques Gamblin nous présenter “Je parle à un homme qui ne tient pas en place”. A l’arrivée au théâtre, le plateau est nu et, à l’heure du début, deux techniciens sortent des coulisses et accrochent une toile à une perche descendue des cintres. La perche se relève et la toile révèle alors une carte du monde qui servira également de support de projection — la voile est hissée, le spectacle peut commencer.

En effet, il s’agit bien là de la première métaphore d’une mise en scène inventive et maitrisée de ce spectacle qui a pour thème la correspondance de Jacques Gamblin avec son ami Thomas Coville, navigateur. La pièce ne le dit pas, mais l’action qui nous est contée a lieu alors que les deux hommes ne se connaissent en fait que depuis quelques mois.

Tom, comme il est surnommé, s’en va en ce mois de janvier 2014 pour une quatrième tentative de record du tour du monde à la voile en solitaire. Jaq (le second personnage à surnom tri-lettrale de cette histoire) lui envoie un e-mail le jour de son départ, sans trop savoir quoi lui dire, et sans savoir non plus si son ami lit ou même reçoit sa prose. Le premier mail se transforme en rituel quotidien, le style d’écriture de Gamblin se fait sentir à mesure que la trajectoire de Coville se dessine en toile de fond sur le planisphère.

Jacques Gamblin nous lit et interprète les courriels envoyés alors qu’en arrière-plan la trajectoire de Coville se dessine, entrecoupée de jolis effets vidéos.
[photo de Nicolas Gerardin, via le dossier de presse]

Je ne suis habituellement pas un grand fan des lectures et autres seuls-en-scène apparentés, ayant par exemple trouvé que “Vous n’aurez pas ma haine” (spectacle avec lequel “Je parle à un homme qui ne tient pas en place” s’est retrouvé sélectionné pour le Molière 2018 du seul-en-scène, et face auquel il s’est incliné) n’amenait pas grand-chose de plus que ne me l’aurait apporté le livre.

Je n’ai absolument pas eu cette impression ici. Déjà parce que Jacques Gamblin est incroyablement brillant dans son propre rôle, récitant ses écrits d’une façon toute particulière — en “laissant flotter la fin des phrases” comme je l’ai très joliment entendu dire par des spectateurs à la fin de la représentation. Ensuite, car la vidéo, la musique, l’excellent éclairage de Laurent Béal et la mise en scène apportent véritablement quelque chose, avec de magnifiques idées (jeu avec les images projetées, ballons jaunes de tailles différentes, lutte avec un taureau, passage derrière un deuxième écran où l’acteur est éclairé en transparence, scène finale, etc.).

Sous ses airs de dialogue monologué “simpliste”, le texte est en fait assez dense, rempli de bons mots, de figures de style, de touches d’humour et de belles phrases. A la lecture, il y a plein de passages sur lesquels on aime s’arrêter pour les apprécier en relisant la phrase, ce qui me rend souvent l’adaptation théâtrale de ce genre d’écrits un peu frustrants. L’impression a été renforcée ce soir-là par un public de Beausobre à la toux de saison particulièrement présente. Cependant, là où cette frustration me fait parfois dire que j’aurais mieux fait de lire le livre que de me déplacer au théâtre, ici elle m’a simplement donné envie de le faire par la suite.

La mise en scène va jusqu’à utiliser l’éclairage de l’écran de l’ordinateur et sa webcam, pour un excellent résultat.
[photo de Yannick Perrin, via le dossier de presse]

Comme vous le savez peut-être, la tentative 2014 de Thomas Coville s’est soldée par un abandon et un demi-tour suite à plusieurs jours d’avancée très lente et l’arrivée dans une eau dangereusement gorgée de glace. C’est en 2016 que “Tom” réussira l’exploit — record qu’il ne détient déjà plus aujourd’hui.

Cet échec donne évidemment un autre ton aux envois de Gamblin, qui se poursuivent malgré tout, toujours si beaux et bien écrits. Après un court SMS touchant du navigateur (disant à l’acteur que ses paroles l’ont “changé à tout jamais”), celui-ci lui répondra finalement plus longuement lors de son retour vers la France, dans un message où il se livre totalement pour la première fois.

La correspondance des derniers jours se fera ainsi plus sensible encore, mais toujours écumée d’humour ci et là (“on n’est pas parfait, c’est mieux pour discuter n’est-ce pas ?”). Gamblin renforce alors la comparaison entre son métier d’acteur et celui de son ami, l’un fuyant sa vie et ses contemporains sur l’eau, l’autre sur les planches.

Le point jaune symbolisant l’avancée du bateau sur la carte se transforme en balle, prétexte à quelques chorégraphies de Gamblin.
[photo de Nicolas Gerardin, via le dossier de presse]

Une très belle histoire de vie et d’amitié donc, sublimée par sa mise en scène, sa direction artistique irréprochable, les déplacements et quelques pas de danse de Jacques Gamblin, son talent d’élocution et d’écrivain, son humour, son style.

Il était d’ailleurs très étonnant de le voir revenir adresser quelques mots aux spectateurs après l’ovation qu’ils lui ont réservée, pour remercier le théâtre et parler du livre répertoriant les échanges épistolaires survenus lors des aventures suivantes de Coville, réellement à deux protagonistes tout du long, cette fois. En effet, Gamblin avait du mal à enchaîner ses phrases, sans que le public ne sache bien si ça venait de l’émotion ou de la grippe qu’il nous avait parfaitement dissimulée jusqu’alors !

Je regrette en tout cas d’avoir loupé ses précédents spectacles passés par Beausobre, regrette également de voir que la tournée semble si peu fournie, mais vous encourage chaudement à découvrir cette pièce si vous en avez l’occasion !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *